82.
En milieu d’après-midi, le procureur Rouhet sortit du bureau du ministre en compagnie du directeur central adjoint Depierre. Les deux hommes restèrent silencieux jusqu’à ce qu’ils fussent entrés dans la longue berline noire.
— Ça fait combien de temps que vous le supportez, Mackenzie ? demanda le procureur en regardant son voisin, d’un air dépité.
Depierre esquissa un sourire.
— C’est pas facile tous les jours, mais c’est un excellent flic… Peut-être même le meilleur qu’il m’ait été donné de rencontrer.
— J’ai bien cru que le ministre allait nous mettre à la porte. Les Italiens n’ont pas apprécié cette histoire…
— Le principal, c’est qu’il ait retrouvé la personne responsable des assassinats, non ? A priori, les meurtres en série sont terminés.
— Oui. Mais il reste l’enlèvement de Dolores Azillanet. L’affaire est loin d’être bouclée.
La voiture s’engagea dans le trafic parisien. Sur la banquette arrière, entre les deux hommes, un exemplaire de Libération annonçait en première page la mort du trépaneur et relatait l’imbroglio entre les polices française et italienne.
— Je ne suis pas sûr de bien saisir tout ce qui se trame autour de ces fameux carnets de Villard, reprit le magistrat alors qu’ils approchaient du périphérique. Vous avez vu comment le ministre avait l’air tendu à ce sujet ?
— Oui… Pour tout vous dire, monsieur le procureur, j’ai reçu deux coups de fil pour le moins inattendus, à ce sujet.
— Comment ça ?
— J’ai l’impression que tout le monde est soudain très inquiet de savoir ce que vont devenir ces pages.
— Mais qui vous a appelé ? s’impatienta le procureur.
— La DST et le cabinet de l’Élysée.
— Vous plaisantez ?
— Pas du tout.
— Et ils vous ont questionné sur le carnet de Villard ?
— Oui. Ils voulaient savoir si Mackenzie avait remis la main sur les pages manquantes et me faire comprendre gentiment qu’ils les attendaient avec impatience. Sous-entendu, que ces pages ne regardaient ni vous ni moi ; ni la justice ni la DCRG.
— Mais qu’est-ce qu’il peut bien y avoir, sur ces foutus pages, qui les excite comme ça ?
— Je ne sais pas, monsieur le procureur. Mais j’ai bien l’impression qu’on est sur le point d’ouvrir la boîte de Pandore… Il n’y a peut-être rien à découvrir dedans mais l’ouvrir déchaîne les pires catastrophes.
Le magistrat hocha la tête.
— Vous savez, la légende raconte que, quand Épithémée referma, en catastrophe, la boîte de Pandore, seule restait à l’intérieur l’espérance.
— C’est très poétique.
Les deux hommes restèrent silencieux un moment. Le chauffeur sortit du périphérique et entra dans Levallois.
— Où en est la DIPJ avec Erik Mancel ? demanda Depierre.
— Nous n’arrivons pas à mettre la main sur lui.
— Il y a fort à parier qu’il est le cerveau derrière toute cette affaire, bien plus qu’Albert Khron.
— Sans doute. Et je ne serais pas surpris que ce soit lui qui ait enlevé la jeune Azillanet… Encore qu’un autre nom nous pose problème dans les listings d’Albert Khron.
— C’est-à-dire ?
— En dehors de Mancel, nous avons identifié toutes les personnes mentionnées dans les dossiers de la confrérie du Vril. Toutes, sauf une. Un certain C. Weldon. Il ne figure pas parmi la liste des membres de l’ordre, mais son nom revient à plusieurs reprises. C’était visiblement un correspondant régulier d’Albert Khron. Impossible de savoir de qui il s’agit.
— Ça a l’air d’être un nom anglais. Vous avez cherché à l’étranger ?
— Bien sûr. Mais sans son prénom et sans indication précise, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin.
La voiture s’arrêta rue de Villiers, au pied des nouveaux bâtiments. Le directeur central adjoint Depierre serra la main du magistrat et sortit sur le trottoir.
— Tenez-moi au courant, lança-t-il, sachant pertinemment que le procureur n’était pas obligé de le faire.
— C’est promis. Et vous, essayez de contenir Mackenzie.
— Je ferai de mon mieux.